
Oh simple thing, where have you gone?
I'm getting old and I need someone to rely on
So tell me when you're gonna let me in
I'm getting tired and I need somewhere to begin
Lily Allen - Somewhere only we know
Je crois que je culpabilise à la simple évocation de cette pensée. Cela pourra paraître si peu naturel aux yeux de tous ceux qui ne l'ont pas connu. J'ai peur qu'ils me jugent et me rejettent, me croyant incapable alors d'aimer sincèrement et profondément quelqu'un. Tout est si complexe et je n'ai plus envie de me justifier. Après de longues années passées à y réfléchir, à chercher un moyen d'envisager mon quotidien autrement, il me semble chaque fois en revenir à la même solution. Quoi qu'il arrive, quelqu'un devra se sacrifier et personne ne pourra s'en sortir indemne. Est-là le prix à payer pour ne pas être parvenus à communiquer ?
Je m'imagine déjà, un soir, boucler mon sac, emporter mes cours, quelques livres, mon précieux Steinbeck. J'entends la porte se refermer derrière moi, je sens le froid du hall qui me saisit. Mes talons qui claquent sur le lino vieilli, puis enfin l'air extérieur qui s'empare de mes poumons. Plus tard, j'entends mon sac qui tombe lourdement au sol et mon corps s'écrase sur un lit inconnu. Je suis prête à commencer ma nouvelle vie.
Puis je les imagine. D'abord se féliciter de m'avoir laissée partir, les laisser se rendre compte qu'il était grand temps pour moi de les quitter. Jusqu'à ce que le temps passe, trop long, des jours entiers sans un appel, sans un message, sans me voir franchir à nouveau cette porte qui m'a avalée sans me laisser reparaître. Il la verra se tordre les mains, anxieuse à l'idée de ne pas savoir où je suis, qui m'accompagne. Il lui dira alors de ne pas s'inquiéter, qu'il est possible que je profite simplement de ma nouvelle vie sans me préoccuper du reste. Les jours passant, il deviendra plus agressif, lui déclarant à présent que je suis ingrate et égoïste, qu'ils auraient dû vider le compte en banque avant que je ne m'en aille avec, qu'ils avaient trop de problèmes d'argent pour laisser passer une occasion pareille de s'en sortir et de remettre leurs compteurs à zéro. Le temps continuera de filer. Elle me verra débarquer sur son lieu de travail, elle sentira mes bras qui l'enlacent. Elle me sourira et fera semblant de s'intéresser aux derniers événements de mon existence. Puis je lui expliquerai enfin : je ne verrai qu'elle, j'attendrai que le temps passe pour qu'il se rende compte de ses erreurs, lui faire sentir le prix à payer pour m'avoir traitée comme une moins que rien. Elle ne comprendra pas, peut-être s'énervera. Alors, je repartirai comme je suis venue, sans me retourner. Je ne lui en laisserai pas le choix. Evidemment, elle saura où je vis, sera capable de débouler à tout moment. Mais, contrairement aux fois précédentes, je ne la laisserai pas renverser ma vie comme un jeu de quilles. Cette fois, oui, je serai celle qui imposera la tendance, qui marquera le nouveau tempo d'une vie qui doit encore s'écrire.
Kurt Cobain l'a si bien dit : il ne faut pas confondre la reconnaissance et l'amour. Les gens sont ce qu'ils sont, un seul acte ne peut pas effacer ni les précédents, ni les suivants. Sinon, il suffirait de s'excuser pour qu'effectivement tout soit pardonné.
Je lui ai tant accordé de chances de m'écouter. J'ai vraiment essayé, de toutes mes forces, mais ça n'a pas marché. J'ai tant souhaité que cette relation fonctionne qu'elle a fini par en devenir absurde, contradictoire. J'ai décidé de ne pas tenir compte de son agressivité, en considérant qu'elle faisait partie intégrante de sa personnalité la plus profonde. J'ai tenté de ne penser qu'aux bons souvenirs, mais les insultes et quelques coups l'ont emporté sur le reste. Je me suis sentie perdre pied dans cette relation où il imposait son rythme et où je n'avais qu'à suivre ou mourir.
Alors, oui, j'ai décidé de prendre la porte. Pour ne pas aimer mon père par obligation, mais plutôt parce qu'il faisait effectivement du bien à ma vie. En n'ayant plus à subir ses crises d'humeur, dictées par son caractère lunatique, j'ai offert une dernière chance à cette relation qui prenait l'eau depuis trop d'années. En n'ayant plus à les entendre se disputer sans qu'aucun des deux ne choisisse de lâcher prise et de partir pour de bon, en prenant cette décision à leur place, je me suis offert la chance de recommencer ma vie sur des bases plus solides que les précédentes.
Je vais démarrer une existence saine. Je vais pouvoir circuler librement en un lieu sans craindre la moindre confrontation, sans avoir à subir de jugement de valeur, sans entendre une seule remarque blessante sur un physique dont je ne suis pas responsable. Je vais enfin prendre le temps de penser à tout ce qui m'est arrivé, y mettre de l'ordre pour pouvoir décider ce que j'ai envie d'en garder. Depuis le jour où cela est arrivé, quelque chose en moi a changé et, dans de telles conditions, mon départ était inévitable. Je vais me reconstruire, brique après brique ; je vais à nouveau penser à moi-même et à ce qui est bon pour moi. Cette décision était la première chose qui m'était d'ailleurs profitable.
Alors, si cela est bon pour moi, pourquoi aucun sourire ne se dessine-t-il sur mon visage ? Pourquoi suis-je chaque jour qui passe amenée à me sentir de plus en plus coupable ?